Chapitre III

Il y avait bien d’autres habitants des bois que Miny aimait retrouver la nuit, à l’insu de tous.

Souvent elle rencontrait, venant des rives du lac, des bandes joyeuses de feux follets, qui l’entouraient et l’entraînaient dans des rondes échevelées. Ces bizarres apparitions, ces flammèches dansantes, ces rires sans bouches ni visages, avaient d’abord effrayé la petite fille. Personne ne savait bien, au pays de Fred le nain, qui étaient les feux follets, et on évitait même d’aborder le sujet. Seul le père Ulu avait pu, au cours de ses chasses nocturnes, les observer longuement, et, comme il était fort savant, il avait fait son opinion sur la nature de ces êtres mi-esprits, mi-lutins. Mais il en avait gardé le secret, comme à son habitude, et n’avait rien dévoilé de ses conclusions.

 

 

Miny s’était peu à peu habituée aux manières étranges des feux follets, et, comme elle ne les avait jamais importunés par d’agaçantes questions sur leur existence, ils l’avaient vite adoptée parmi eux. Ils l’emmenaient dans des expéditions fantasques, tout près des roseaux et des aulnes qui bordent le lac en certains endroits, ou parmi les troncs des vieux arbres centenaires qui font les hautes futaies. Comme ils avaient un caractère malicieux, ils aimaient jouer des tours et s’acharnaient tout particulièrement sur Sylvain, le gnome noir à la force prodigieuse, qui était un personnage fruste et très craintif.

Ainsi, par des nuits sans lune, les feux follets se glissaient dans la hutte où dormait le gnome et le réveillaient en sursaut par leur agitation désordonnée, leurs soubresauts et leurs rires. Le pauvre Sylvain croyait qu’ils voulaient enflammer sa paillasse ou même incendier son logis.

— Pourquoi tourmentez-vous ainsi le gnome ? demanda une fois Miny, qui avait pitié de Sylvain.

Mais elle n’obtint pas de réponse. Les feux follets couraient, sautaient, virevoltaient en un incessant tourbillon, si bien que le malheureux, épouvanté, finit par s’enfuir à toutes jambes, laissant les lutins et leur amie maîtres de la place. Alors l’un d’eux s’approcha de la petite fille et lui déclara d’une voix enfin sérieuse :

— Toi, tu aimes les eaux, tu aimes les arbres, tu aimes les esprits, tu aimes les animaux, tu aimes les tiens, alors nous t’aimons…

« Mais lui, c’est un BÛCHERON !!!

Miny n’obtint pas d’autre éclaircissement. Pourtant, elle aurait voulu discuter, expliquer qu’un bûcheron ne fait pas toujours le mal, qu’il aide les jeunes baliveaux à grandir, en abattant les vieux troncs, et qu’il faut bien quelqu’un pour mettre un peu d’ordre dans les bois. Mais elle reconnaissait aussi que le bruit aigre d’une scie ou les coups sourds d’une cognée signifient toujours la mort d’un arbre et font comme un long deuil silencieux parmi les êtres de la forêt.

Peu de temps avant l’arrivée de Maho le géant, la petite fille voulut organiser une grande réunion entre ses amis les mulots et ses amis les feux follets. Elle se dit qu’une telle rencontre ne pouvait pas s’improviser et qu’il fallait y bien préparer les uns et les autres.

— Cher Mur, dit-elle au mulot qui la regardait de ses gros yeux bien éveillés, tu comprends que je vous aime beaucoup et que j’aime aussi les feux follets. Quand vous vous connaîtrez, vous vous apprécierez et vous estimerez les uns les autres. Petit à petit des liens d’amitié vous uniront et alors nous pourrons fêter tous ensemble la grande entente des lutins des eaux et des souris des bois.

Et Miny sautait de joie en pensant à cette belle fraternité que l’on célébrerait autour d’un festin de douces noisettes parfumées. Mur le mulot accepta aussitôt le projet.

Puis ce fut au tour des feux follets d’être harangués :

— Vous êtes les joyeux esprits des eaux, des marais et des oseraies, leur dit la minuscule fillette de sa petite voix claironnante, voulez-vous connaître le peuple des mulots, qui sont les habitants des bois et qui vivent sous la terre ?

— Oui, oh oui ! Oui ! Oui ! s’écrièrent les feux follets et, sans laisser Miny continuer, ils commencèrent une vive sarabande, si allègre que la petite fille se laissa emporter par la folle ronde, au milieu des rires et des cris de joie.

Enfin arriva la nuit de la rencontre. Miny était venue fort en avance chez les mulots et on attendit ensemble la visite des feux follets…

 

Soudain une flammèche apparut, puis deux, puis dix, et une ronde effrénée de flammes vivantes vint entourer d’un cercle trépidant la grande famille des souris des bois. C’était la façon des feux follets de saluer leurs « nouveaux amis ».

L’effet fut catastrophique. Terrorisés par cette extraordinaire agitation, les mulots, sur un cri de Mur, se jetèrent dans leurs abris souterrains d’où ils ne voulurent plus ressortir.

Et longtemps après le départ des lutins, on entendit Mur le mulot entonner de sa voix aiguë et plaintive le Chant des Souris des Bois, comme au plus fort des alertes, quand son peuple tremblait sous la menace du rapace.

Miny, l’enfant de Fred le nain, fut bien attristée par cette issue désastreuse. « Comment est-il possible, se demandait-elle, que mes amis ne puissent s’entendre ? Dans ma tête tout le monde est heureux et vit en bonne harmonie, tout y est simple, clair et uni, tandis que dans la réalité, les êtres et les choses ne se connaissent pas et tout est éparpillé… »

Et plus l’enfant réfléchissait, plus elle se désolait, si bien que deux gouttes d’eau perlèrent à ses paupières. C’étaient sûrement les larmes les plus petites qu’on ait jamais vues.

 

Cependant, durant la nuit qui suivit l’arrivée de Maho le géant, ce n’est pas chez les feux follets que Miny s’en était allée, alors que dormaient tranquillement ses parents et ses frères dans la maisonnette, à l’orée des grands bois.

Une fée sans baguette
titlepage.xhtml
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Laureillard,Remi-Une fee sans baguette(1979).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html